Pressenza Dhaka, 16/09/10 La banque Grameen est une organisation du Bangladesh qui offre de petits prêts aux familles appauvries pour les aider à s’établir. La banque Grameen et son fondateur Muhammad Yunus ont reçu le prix Nobel de la Paix le 13 octobre 2006.
La Fondation Grameen, organisation sans but lucratif basée dans le district de Washington (USA), est partenaire de ses homologues de la Fondation Chinoise pour l’Entreprenariat Social, création du gouvernement chinois très joliment dénommée.
Il a été décrété que des groupes autofinancés n’ont généralement pas pu poursuivre leurs activités sans apport de fonds – ce qui contredit toute l’idée et pose la question de qui a fait cette étude et pourquoi ? Pour ce qui concerne le fonctionnement de Grameen au Bangladesh, c’est faux puisque beaucoup de groupes se sont formés et sont parvenus à gérer les fonds du groupe de manière adéquate. Ca a marché.
Mais la banque Grameen subsidiait les groupes en fournissant les travailleurs de terrain qui accompagnaient la fondation du groupe. L’idée était que lorsque le groupe était lancé, il pourrait se débrouiller seul. Après tout, quelqu’un doit prendre le temps d’expliquer comment ça marche. Sachant cela et en tenant compte de cela, des volontaires peuvent être trouvés, mais les premiers taux de développement étaient si lents et il y avait tant à faire – d’où l’apport de Grameen.
L’initiateur Muhammad Yunis raconte, dans son livre « Banquier des pauvres », les recherches de terrain qu’il a dû faire au début pour que les choses avancent, mais aussi combien il était important de trouver la personne adéquate qui serait le travailleur de terrain démarrant les groupes.
Ce travailleur de terrain reste un ingrédient vital aujourd’hui et le souci est que, si ces fondations peuvent être excellentes pour obtenir des fonds et les utiliser d’une manière qui semble correcte dans la comptabilité de chacun, qu’advient-il du concept initial ?
Essentiellement, alors que Yunis concevait un système qui fonctionne, celui-ci est dans sa quintessence un système humain et non applicable aux exigences bien plus rationnelles d’un froid projet bancaire où, avec ou sans esprit de lucre, le profit reste la mesure du résultat.
Clairement, des fonds flottent et comme d’habitude ceux qui sont déjà installés dans l’activité du transfert d’argent – en prélevant leur part – voient tout le potentiel de l’accès aux montants immenses destinés à la réduction de la pauvreté, mais qui n’ont pas atteint et sans doute n’atteindront jamais les pauvres en raison du trop grand nombre d’intermédiaires – dans le meilleur des cas !
Il serait préférable que des entreprises louent un hélicoptère et larguent quelques milliers de dollars, au hasard, sur les toits de petits villages. Dans ce cas, il y aurait une chance que certains pauvres mettent la main sur quelques billets.
Dans « La micro-finance rate son objectif », Aneel Karnani, professeur associé de stratégie à l’école d’affaires Ross de l’université du Michigan relève dans la revue d’innovation sociale de Stanford que : « En dépit des vivats autour du microcrédit, peu ont étudié son impact. L’une des études les plus complètes arrive à une conclusion surprenante : les microcrédits bénéficient plus aux emprunteurs vivant au-dessus du seuil de pauvreté qu’à ceux vivant sous le seuil de pauvreté. »
Apparemment, c’est dû au fait que les plus pauvres ont tendance à prendre des prêts prudents pour protéger leur subsistance, alors que les bénéficiaires ayant plus de revenus prennent plus de risques, achètent par exemple un téléphone portable, ce qui peut augmenter leurs revenus. Mais l’objectif était de sortir les pauvres de situations de misère et les placer dans une situation vivable, le reste est un bonus.
En général, bien que le système de microcrédit du style de Yunis ait très bien fonctionné, ses principaux détracteurs soulignent le taux d’intérêt pratiqué relativement élevé. Celui-ci est peut-être très bas pour une organisation de microcrédit visant les pauvres, mais en tant que remboursement régulier, les taux sont trop élevés et doivent être retirés du calcul. Le groupe a besoin de conserver toutes les liquidités et ne peut pas se permettre de subsidier une banque, même la banque Grameen. C’est pourquoi la réponse se trouve dans l’action volontaire.
Ceux qui proposent le microcrédit après Yunis soutiennent que ces taux, bien qu’élevés, sont encore bien en dessous de ceux pratiqués par les prêteurs informels. Mais si les bénéficiaires pauvres ne peuvent pas générer un retour sur investissement plus élevé que les intérêts qu’ils doivent payer, ils deviendront plus pauvres par le microcrédit, pas plus riches. C’est ce qui s’est produit dans bien des cas, d’où la critique selon laquelle même le système Grameen est défectueux et ne permet pas aux pauvres d’échapper à leur condition. Mais quel était le but l’origine ?
Le bénéficiaire du microcrédit n’est pas un entrepreneur. Aneel Karnani souligne qu’elle (les femmes reçoivent l’argent car elles sont plus susceptibles de l’utiliser pour les besoins familiaux) augmente le capital, gère les affaires et utilise les revenus pour son foyer. Mais les « entrepreneurs » qui servent de modèles aux autres sont habituellement très motivés et pas simplement de pauvres gens ordinaires contents d’avoir une chance. Ils sont plus susceptibles de convertir de nouvelles idées en affaires profitables.
La majorité des bénéficiaires est impliquée avant tout dans des activités de subsistance. Ils ont d’habitude peu de compétences spécialisées et sont en concurrence avec d’autres pauvres. Ils travaillent à une trop petite échelle pour être efficaces et n’obtiennent que de faibles revenus. C’est plutôt en contradiction avec le battage des Nations Unies selon lequel les micro-entrepreneurs produisent des affaires actives entraînant des économies florissantes.
Le simple fait que l’échelon le plus bas soit bourgeonnant et dispose de moyens nouveaux de rencontrer ses obligations financières, est absolument utile et ne doit pas être négligé. Il existe un lieu, une niche et un besoin des principes contenus dans « Banquier des pauvres », à placer activement dans la société. Cependant, il ne faut pas confondre.
« Le fait est que la plupart des clients du microcrédit ne sont pas des micro-entrepreneurs par choix. Ils accepteraient volontiers un travail en usine pour un salaire raisonnable s’il y en avait. Il ne faut pas romancer l’idée des « pauvres comme entrepreneurs », déclare Aneel Karnani. L’Organisation Internationale du Travail utilise un terme plus approprié pour ces personnes : « travailleurs à leur propre compte ».
Créer des possibilités d’emploi stable pour des salaires raisonnables est le meilleur moyen de sortir les gens de la pauvreté.
Les commentaires du professeur Aneel Karnani ne sont pas destinés uniquement à évaluer la micro-finance comme bonne ou mauvaise solution à la pauvreté, mais conduisent à une questionnement plus large quant au le rôle de tout gouvernement pour aider les pauvres. Simplement et sincèrement, là où le marché échoue ou est imparfait, en particulier dans l’attribution de biens et services vitaux pour le bien-être humain, l’Etat doit agir pour rectifier la situation.
Tony Henderson est un écrivain indépendant travaillant à Hong Kong depuis 1980, après sept années au Japon, deux années à l’île Maurice et une année en Libye.